Que retenir du premier rapport d’activité du Parquet Européen ?
Marcela Pittelli, Manager de FRA Paris, s’attachent à identifier les grandes tendances qui se dégagent du premier rapport annuel du Parquet Européen, les points encore en suspens, en France en particulier, et ce que ces premières orientations impliquent, d’ores et déjà, pour les sociétés.
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Le Parquet Européen a rendu public ce 24 mars 2022 son premier rapport d’activité . Très attendu, il permet d’appréhender de manière précise l’impulsion donnée à cette nouvelle institution par la première Procureur Européen, Laura Kövesi, et les principales orientations qui en résultent.
Ce rapport porte sur les sept premiers mois d’activité du Parquet Européen, institué en juin 2021, et détaille notamment, pour chaque pays participant à cette nouvelle autorité, les données relatives au nombre d’enquêtes en cours, aux montants des dommages subis par l’UE, aux montants des dommages résultant spécifiquement de la fraude à la TVA, ainsi qu’à ceux relatifs aux saisies opérées. Il indique également l’origine des signalements et plaintes reçues (que ce soit de la part des autorités nationales, des institutions européennes elles-mêmes, de tiers privés ou de la propre initiative du Parquet).
En publiant dès aujourd’hui, les données relatives à cette première année d’exercice partiel, Laura Kövesi a souhaité montrer qu’il n’y aurait pas de montée en puissance lente et progressive, mais une utilisation, dès son origine, de l’ensemble des moyens dont dispose le Parquet Européen.
Ainsi, à fin 2021, 2.832 signalements ont été traités par le Parquet, qui ont conduit à l’ouverture de 576 enquêtes (dont 515 enquêtes encore actives, qui correspondraient à un montant de dommages estimé à 5,4 milliards d’euros). Il est à noter que la moitié de celles-ci ont été ouvertes à l’initiative du Parquet Européen. Ces enquêtes ont, par ailleurs, entrainé la saisie en valeur de 147,3 millions d’euros.
La fraude aux subventions, en particulier dans le secteur agricole, représente près d’un tiers de l’ensemble des enquêtes ouvertes. La fraude à la TVA, quant à elle, notamment via des carrousels, est à l’origine de 17,6% de celles-ci (pour un dommage évalué à 2,5 milliards d’euros). Viennent ensuite les fraudes aux droits de douanes et aux dispositifs anti-dumping (13,4%), ainsi que les fraude aux marchés publics (11,2%). 4% des enquêtes ouvertes portent sur des faits de corruptions, actives ou passives, d’agents publics européens (afin, par exemple, d’obtenir des subventions surévaluées).
Le rapport met surtout en avant la rapidité des échanges d’information entre les autorités nationales, dans le cadre des enquêtes dépendant du Parquet Européen. En comparaison, les demandes d’entraide européennes, employées jusqu’à présent lors d’enquêtes menées par des autorités nationales, s’avèrent bien plus longues. Il en résulte ainsi que certains actes qui mettaient des mois à être organisés, peuvent l’être en quelques semaines.
L’analyse par pays participant présente naturellement un intérêt particulier. Si l’Italie et la Bulgarie font l’objet, respectivement, de 120 ouvertures d’enquêtes (pour des dommages estimés à 1,7 milliard d’euros, dont 1,3 milliard d’euros résultant de la fraude à la TVA) et 105 ouvertures d’enquêtes (pour des dommages estimés à 1,3 milliard d’euros), la Roumanie (60), l’Allemagne (58), la Slovaquie (45), la Tchéquie (39) et la France (31) constituent également un groupe de pays sur lequel le Parquet Européen porte, depuis son institution, particulièrement son attention.
Concernant plus particulièrement la France, les 31 enquêtes ouvertes ont principalement porté sur des faits de fraudes aux subventions et de fraudes douanières ou aux dispositifs anti-dumping. Près de la moitié des enquêtes ouvertes s’inscrivent dans le cadre d’affaires transnationales. Par ailleurs, la moitié de ces enquêtes résultent du signalement des autorités françaises.
Si, à la fin de 2021, seules 5 affaires sont actuellement devant des tribunaux nationaux et une seule s’est conclue par une condamnation en Slovaquie , il est naturellement trop tôt pour évaluer quel poids aura le Parquet Européen dans le dispositif de lutte contre les fraudes relevant de sa compétence. Plusieurs points restent, en effet, en suspens particulièrement en France :
- Quel équilibre sera trouvé entre les enquêtes menées par le Parquet Européen et celles relevant du Parquet National Financier ?
- On peut, par ailleurs, s’interroger sur la manière dont devra être menée, en pratique, la négociation d’une CJIP dans le cadre d’une enquête du Parquet Européen.
De manière plus générale, les années à venir permettront de confirmer si les orientations constatées lors ces premiers mois d’activité sont structurelles ou si elles feront l’objet d’évolution significatives, que ce soit en terme de volume, de typologie de faits poursuivis ou de pays concernés.
Pour les entreprises, il paraît indispensable de prendre en compte, si ce n’est déjà fait, l’existence de cette nouvelle autorité. Cela doit notamment se traduire par une réflexion spécifique :
- sur les procédures internes à mettre en place, particulièrement en matière d’investigation interne, en cas d’enquête par le Parquet européen, notamment lorsque celles-ci intègrent un caractère transnational ;
- sur les dispositions à adopter en matière de conformité, ainsi qu’en cas de signalement à initier auprès du Parquet Européen, suite, par exemple, à une investigation interne, résultant, ou non, de l’initiative d’un lanceur d’alerte.